108 - Zéro accidents ?

    Vendredi dernier, 15 août, le Télégramme titrait « Routes : un record encourageant ». En se reportant à la page 5, on apprenait que ce mois de juillet 2014 était « le moins meurtrier depuis 60 ans ». Bravo pour la décroissance ! accident1     Par contre, en page 3 on pouvait lire « Croissance : La France à l’arrêt ». Et le journaliste de se lamenter sur cette quasi-totalité des moteurs de la croissance en panne ».
    Aucun journaliste ce jour-là pour faire le lien entre la page 3 et la page 5. Ils s’étaient sans doute tous épuisés, comme leur rédac chef, à faire la promotion, pendant des mois, de la grosse arnaque Bonnets Rouges, commanditaires publicitaires obligent.
    Avec ou sans écotaxe, des morts à la pelle sur les routes soutiennent la croissance, mesurée à coup de PNB : carrossiers, vendeurs de nouvelles bagnoles, hôpitaux, morgues, pompes funèbres, ponts et chaussées, envoyés spéciaux… etc.
    Si la mortalité sur les routes régresse, la croissance automatiquement stagne et réciproquement le contraire. Dans une économie qui marche les pieds sur la tête, le bris des moteurs de bagnoles fait écho au bris des moteurs de l’économie. Impossible d’avoir à la fois le beurre et la motte de la crémière.
    Le Télégramme n’était pas le seul à prendre ainsi les vessies pour des lanternes et leurs lecteurs pour des cons. Ouest-France, Le Monde, Le Figaro, Libé… y allaient de leurs complets enthousiastes ou larmoyants, selon qu’il s'agissait des morts sur les routes ou des morts d’entreprises pour cause de croissance zéro.
    N’y aurait-il donc un seul analyste pour sauver la mise ?
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    Heureusement, dans le Télégramme Dimanche du 18 août, il s’en est trouvé d'un peu plus futé. Un plaisir que de reproduire ci-dessous son édito.
JK

Courant d’ère. Godot avait raison

    C'est une sorte d'hommage à Samuel Beckett que l'économie européenne joue et rejoue à guichets fermés. Beckett attendait Godot. Nous attendons la reprise. Qui traîne, qui ne viendra pas. En dépit de toutes les promesses verbales et de tous les espoirs. On peut incriminer la stratégie dominante des gouvernements européens. Réduire les déficits, sans doute, mais pourquoi s'étonner que cette cure d'austérité à marche forcée engendre l'atonie ?
accident3Sans compter l'obsession allemande de l'euro fort et son refus, non moins obsessionnel, d'une inflation maîtrisée. On tue le cheval à lui infliger un tel remède.
Mais, par-delà ces préoccupations légitimes, il faut s'interroger sur l'après-crise, se demander s'il existera, au bout du bout, une quelconque restauration de l'âge d'or. Nos politiques feraient bien de modifier leur politique. Mais ils feraient mieux encore de nous débarrasser de ce mirage. Car, pas plus que n'arrivera Godot, nous ne retrouverons l'ivresse des Trente Glorieuses, le toujours plus garanti. Tandis que la finance devient folle, nous changeons d'ère et de logiciel. L'énergie à gogo, c'est (bientôt) fini. Le corporatisme de papa, c'est (bientôt) mort. Les bagnoles qui roulent à 200 km/h, c'est (bientôt) ringard. Les villes tentaculaires, c'est (bientôt) intenable. Le stress pour ceux qui travaillent tandis que les autres chôment, c'est (bientôt) condamné. Les hypermarchés qui malmènent l'emploi, c'est (bientôt) périmé. Le portable d'Apple encore mieux que le précédent qui part à la poubelle, c'est (bientôt) idiot. Et chacun sa tondeuse quand une pour cinq suffirait largement, c'est (bientôt) l'évidence. Quant au TGV à 500 km/h, quand on ne peut plus se payer le train, ça rimera à quoi ? La reprise, cher Godot, on l'espère un peu. Mais il va falloir changer de vie, changer de modernité.

Hervé Hamon