Comme les USA avec TAFTA, l'Europe planque aussi son entourloupe. Un économiste, Jacques Berthelot, nous en explique ici le mécanisme très subtil et comment les subventions à l'exportation de l'Union Européenne continuent à étrangler le tiers-monde, en particulier l'Afrique, puisque quotas élevés (bientôt supprimés) et aides directes ont un effet de distorsion sur les échanges, ainsi dopés. Avec beaucoup de culot, Stéphane Le Foll, ministre et porte parole du gouvernement, fait semblant de l'ignorer. La démonstration est un peu technique, mais à l'arrivée on pige mieux le pourquoi de ces émigrations massives vers l'Europe... que les nationalo-populistes européens ont, ensuite, beau jeu de dénoncer.
JK

Le fond du problème est que Stéphane le Foll et la Commission européenne partent de deux définitions erronées portant sur les subventions à l'exportation et sur les aides internes n'ayant pas d'effet de distorsion des échanges. Ils ne considèrent comme subventions à l'exportation que celles accordées au niveau de l'exportateur, qui ne représentent que la partie émergée de l'iceberg des subventions de l'UE à l'exportation – et qui ont été totalement supprimées depuis le 1er juillet 2013 –, oubliant les subventions internes bien plus considérables qui bénéficient aussi aux produits exportés. D'ailleurs, l'organe d'appel de l'OMC a jugé 4 fois – sur les “Produits laitiers du Canada” les 3 décembre 2001 et 20 décembre 2002, sur le “Coton des Etats-Unis” le 3 mars 2005 et sur le “Sucre de l'UE” le 20 avril 2005 – que les subventions internes bénéficiant aux produits agricoles exportés ont aussi un effet de dumping.

Et le jugement sur le coton a précisé que les aides directes fixes des USA – soi-disant sans effet de distorsion des échanges car “découplées” du niveau de production ou du prix –, étaient “couplées” car les producteurs qui les percevaient n'avaient pas une totale liberté de choix de leur production, n'ayant pas le droit de produire des fruits et légumes ou du riz sauvage. C'est l'une des raisons pour lesquelles le nouveau Farm Bill signé par Barack Obama le 7 février 2014 a définitivement supprimé les 5 milliards de dollars d'aides directes fixes. Or les interdictions ou plafonds de production sont infiniment supérieurs dans l'UE à ceux des USA, puisque des quotas limitent la production de lait jusqu'en avril 2015, la production de sucre jusqu'en 2016 et la production de vin (droits de plantation) jusqu'en 2018 et qu'il y a en outre des plafonds à la production de coton et de tabac.
Autrement dit, compte tenu de ce précédent de l'OMC sur le coton des USA, toute poursuite contre les aides directes soi-disant découplées de l'UE – les droits au paiement unique (DPU), rebaptisés droits au paiement de base (DPB) pour la PAC 2014-20 – est assurée de les considérer comme ayant des effets de distorsion des échanges et donc astreintes à réduction. Et, comme l'UE a accepté de réduire de 70% ce type de subventions si le Doha Round est finalisé, cela implique que les 37,7 milliards d'euros alloués aux DPU en 2012, qui ont représenté 65% du Budget agricole de l'UE, chuteraient à 11,3 milliards et signeraient la mort des agriculteurs européens puisque ces aides représentent l'essentiel de leur revenu net.


Or 15,3% de ces subventions à l'exportation, soit 750 millions d'euros, ont concerné les seuls pays ACP (Afrique-Caraïbes-Pacifique) auxquels l'UE veut imposer la signature des APE (Accords de partenariat économique), les obligeant à ouvrir leur marché intérieur à 80% de ses exportations, alors même qu'elle a exclu que les APE traitent de la question cruciale des subventions agricoles qui ne pourrait être traitée qu'à l'OMC!
ancien titulaire de la Chaire Jean Monnet d'intégration européenne de l'Institut National Polytechnique de Toulouse et membre, au titre de Solidarité, du Groupe consultatif de la Commission européenne sur les aspects internationaux de la PAC.
(1) Jacques Berthelot, Le dumping des céréales, viandes et produits laitiers de l'UE en 2012, notamment vers les pays ACP, Solidarité, 5 mars 2014 ( http://www.solidarite.asso.fr/Articles-de-2014,684 )