121 - Censure au château

{jcomments on}4/10/14 et 15 commentaires

    Jusqu’ici le château de Trégarantec -Mellionnec 22 (photo)- évoquait pour moi la figure d’un grand seigneur, homme cultivé et généreux : Paul Danion. Je l’avais connu enfant, quand il venait avec sa batteuse à la ferme de mes parents. Je le visitais régulièrement depuis. Quand, en 1978, à mon départ de Lyon, je cherchais une longère pour poser mon sac au pays natal, c’est à lui que je m’étais adressé. Il était passionné de vieux matériel agricole et, peu avant sa mort, j’avais évoqué avec lui l’idée de faire un documentaire sur sa passion.
    J’imaginais que ses 3 fils, qui ont repris l’exploitation des terres agricoles et forestières du château (un vaste domaine redevable de l’impôt sur la fortune), étaient de même trempe. Je me suis lourdement trompé.

château
    L’an passé, une association de bénévoles, liés à la bibliothèque de la commune, décidait d’organiser, à l’orangerie du château, un petit salon du livre. D’ordinaire, je refuse les invitations à ces "salons du livre" qui partout prolifèrent, les auteurs devenant, à leurs frais, la variable d’ajustement d’une animation locale peu coûteuse et facile à organiser. Tout cela pour vendre quelques livres dont les droits d’auteur sont loin de couvrir les frais de transport.
    Pour Trégarantec, j’avais fait exception. Les raisons ne manquaient pas  : ma longue histoire avec le père Danion, mes lecteurs de Bretagne intérieure, l’ouverture du château aux manifestations artistiques des « Lieux mouvant » (cf sur cette page l’article n°85), et, en plus, c’était à côté de chez moi.

    Cette année, dès le moi de mai, j’étais de nouveau invité par la présidente de l’association, au salon 2014, fixé au dimanche 4 octobre. Encore une fois, et pour les mêmes raisons, j’avais dit oui.
    Quelle n’a pas été ma stupeur de recevoir, il y a une quinzaine de jours, un courriel de cette même présidente :
« L'an passé, votre présence a déplu à certains membres de la famille et de ce fait, ils ne désirent plus vous voir. De ce fait nous ne vous comptons plus parmi nos auteurs participants. Nous nous devons de respecter la volonté de cette famille qui nous invite, il s'agit là de la moindre des choses. »

    Qu’avais-je fait de déraisonnable, en quatre mois, qui justifiait une telle exclusion de la part de la famille Danion ? Avais-je tenté de mettre le feu au château, comme l'ont fait les légumiers au centre des impôts de Morlaix ? Avais-je commis quelque délit ? Avais-je un contentieux souterrain et inconnu avec cette famille que j’avais jusque là en si bonne estime ?
    En quête d’explication sur ce brusque retournement, je téléphonais à Loïc, un des fils Danion, que je connaissais de vue. Il m’expliqua, au bout du fil, que mes écrits et mes prises de position contre l’agriculture productiviste l’indisposaient et qu’il n’était pas question que je vienne « cracher dans sa soupe au château ».

    Je n’irai donc pas « cracher dans la soupe » dimanche prochain, car on ne force pas à boire un âne qui n'a pas soif.
 
    Le plus navrant dans cette histoire, c’est de voir cette "jeune" (sa présidente doit avoir mon âge)
association obtempérer à ce type d’oukase nous ramenant à l’époque féodale. Serions-nous redevenus des manants ? « Oui oui oui not’ bon Maître. Pas question d’écrire, d’agir, de penser différemment de vous, mon Seigneur.  »
    Moi qui imaginais qu’une manifestation vouée à l’écriture avait pour but de vaincre l’ignorance, la bêtise et les régressions féodales !

    Ce n’est sans doute, hélas, que le début d’une catastrophe qui s’annonce (et pas que dans le Var), étouffant, à petit feu, toute pensée et toute expression publique. Ouest-France et le Télégramme, prévenus, sont restés coi. Ce silence consensuel est lourd de mauvais présage. Dans dix ans, certains journalistes s'interrogeront peut-être sur leur responsabilité dans la naissance de cette pieuvre qui, peu à peu, va nous cerner. En protestant contre cette censure, c'est aussi la liberté de la presse que je défends.

    Je ne mettrai donc pas le doigt dans cet engrenage pernicieux en acceptant la dernière proposition qui vient de m’être faite à titre de compromis : ce samedi, je ne serais plus invité par le salon, mais par un de mes éditeurs présent, avec heure d’arrivée fixée à 14h (alors que tous les autres auteurs sont invités dès le matin) et interdiction de quitter son stand.
    J’ose espérer que ce salon se transportera, une prochaine fois, en un lieu plus respectueux des droits de l’homme et du citoyen - les libertés d’opinion, d’expression et de publication-, valeurs chèrement acquises et qui, pour moi, ne seront jamais négociables. La paix et la sérénité oui. Mais pas à n’importe quel prix.
    Je ne suis pas une chèvre féodale qu’on assigne au piquet.

Un ami m’écrit :
    Ce bon Loïc Danion ? Je le croyais grand défenseur de la liberté d'expression. À preuve, en 2010 (il était alors président du Rotary de Carhaix) il avait organisé avec ses collègues rotariens de St Brieuc, au célèbre restaurant "Le Monde des Chimères", une sorte de concours d'éloquence dont le thème était une citation de Nelson Mandela : «  Etre libre ce n'est pas seulement se débarrasser de ses chaînes, c'est vivre d'une façon qui respecte et renforce la liberté des autres. »
http://www.rotaryd1650.org/clubs/carhaix/actualites_archives_2010.php
JK

COMMENTAIRES 4/10/14 et jours suivants

-… autrement plus intelligent, et stylé, que la famille à qui tu t’adresses et que la bétise que tu dois encore, encore et toujours, combattre !
On se croirait revenu au temps de la féodalité....
Longue vie à toi, Jean Kergrist !
Guillaume Hamon, fonctionnaire territorial

-C'est à la dame du courriel qu'il faudrait clouer le bec. Je ne doute pas qu'avec talent tu en trouveras le moyen.
BRAVO pour ta présence à Blois ; tu y verras sans doute l'anthologie LES REBELLES - une co-édition CNRS LE MONDE –
Charles-Louis Foulon, historien

-Oui, je suis invité aux rendez-vous de l'histoire de Blois. Tout frais payés. Mon film sur les chouans, avec débat, passera le samedi 11 octobre et le mardi 14. Le samedi soir je suis invité au repas des historiens au château de Blois... autre chose que Trégarantec !
JK

-Qu’as tu encore fait a cette honorable famille d’excellents châtelains?
Jean Lebrun, journaliste

-Bien fait pour ta gueule ! Tu l'as bien cherché ! Si tu veux être invité, tous frais payés, aux salons du livre en Bretagne, fais comme moi : écrits des textes à la gloire de Belin, Sofiprotéol, Glon, Hénaff, Doux ou Le Drian.
GA (texte apocryphe)

-À ma connaissance, le salon du livre de Toulon était le seul jusqu'ici à avoir censuré des auteurs. Je n'imaginais pas voir cela en Bretagne. Du moins, pas tout de suite.
CB, éditeur


-Je propose que la dame installe un stand Armand Robin à son salon du livre - c'est vendeur, et tendance, comme tu sais - et tu pourrais y disposer un panneau en gros caractères où serait reproduit un petit bout de cette lettre  que notre ami Robin a envoyée à Jean Paulhan en aout 1943 pour lui signifier son changement de vie et sa rupture avec le monde des salons (sic, mais dans un autre sens, évidemment, quoique...), des éditeurs, des cercles de pseudos-intellectuels en recherche de renom, des vendeurs de livres et de petits fours, etc... :
" [...] j'ai décidé de rompre absolument tout dernier lien avec la bourgeoisie et avec tout ce qui y peut me servir, (sauf évidemment pour gagner mon pain et celui de ma femme). J'ai honte d'avoir vécu presque 10 ans de ma vie dans une maison des morts, je veux dire dans un monde où on m'a offert aux dépens de l'âme des commodités, voire de la célébrité, si j'en voulais. J'ai été un être pitoyable et ce n'est que peu à peu que j'ai compris où je m'étais fourvoyé. Paulhan, comprenez-vous, après tant de compromissions avec le monde capitaliste, je voudrais travailler obscur et fort. Ces derniers deux ans, par faiblesse envers ma nouvelle famille, il m'est même arrivé de vendre de la pensée contre de l'argent. J'ai accepté de vendre mon âme pendant des années."
http://www.armandrobin.org/ephem_1943.htm

ps : alain Bourdon m'a raconté l'histoire suivante:
Un grand organisme intello-politico-commercialo-littéraire fait une grande fête à l'occasion de quelque chose d'André Ady, parfaitement inconnu, mais... que Robin venait de révéler à la France par ses traductions. AR est invité car ce sont ses traductions qui seront utilisées par les comédiens et chanteurs, et pour venir il loue même un smoking (seule attestation de ce genre d'accessoire dans sa vie). Dans toute la soirée, il n'est jamais question du traducteur présent dans la salle, mais qui a oublié de se faire reconnaître... Quand c'est fini, AR rentre chez lui incognito dans sa nuit grise.  Juste revanche, les organisateurs ont disparu, mais Ady et ses traductions existent toujours... les salons passent, les mauvais auteurs aussi, les bons textes restent.
Jean Bescond


-Jusqu'ici je n'avais pas fait attention à cette très intéressante publication où l'expression est totalement libre. Je me dis même qu'à l'occasion j'en profiterai pour aller au delà du simple "lire" et que j'y confierai quelques propos.
Ma fille, qui habite Tours, sera à Blois car son compagnon, Cedric Perrin, y intervient aussi; je lui signale ta présence, on ne sait jamais.....

Jacqueline Caplat

-Bien dit, jeune homme vigilant!!
John Molineux

-Mon Cher Monsieur Kergrist vous êtes bien naïf, dissertant de l'intelligence des Seigneurs ! Nous sommes bien obligés d'admettre hélas, que l'exploitation conventionnelle des terres et des bois du château, a fini par avoir raison de la subtilité et de l'élégance de ces gens d'un bon rang autrefois. Les émanations des phytosanitaires, du rotary, et des coopératives agricoles, provoquent de graves nécroses et altèrent les comportements. C'est fatal. Merci de nous en apportez la preuve.
Dans notre nouveau monde harmonieux, où la culture intensive devient une religion, il faut bien admettre que notre droit d'expression est passé comme nos caleçons et nos chaussettes, au modèle standard et à la taille unique. Toute pensée critique devient dangereuse mon ami, vous en êtes le témoin vivant.
Une seule façon de marcher, une seule façon de penser et les chèvres seront bien gardées. Les serviteurs volontaires prennent du galon, et l'intensif entraînant un déficit toujours plus grand de l'imagination, les courbettes et les génuflexions suffisent à codifier l'opinion.
Vous trouverez ci-joint un bout du réglement déchiré par mes soins lors de leur dernier salon.
Vous saurez en faire un bon usage.
Consignes générales :
Avant d'entrer dans notre salon littéraire, laissez votre cerveau au vestiaire, contentez vous des catalogues du bon marché...
Si vous trouvez une chèvre, attachez-la serré, et vérifiez sa longueur de corde. Pour votre sécurité, le règlement prévoit qu'elle soit au plus près du piquet.
Question d'hygiène, évitez d'approcher la chèvre, elle pourrait vous contaminer
Iso
PS J'ai entendu dire que Valérie T s'était désistée. Elle était prévue comme tête de gondole. Je n'ai pas eu le temps de vérifier l'information.

-Pour Valérie T c'est presque authentique : le correspondant local du Télégramme n'ayant aucune photo pour annoncer ce salon au château, à la rédaction, ils ont mis la photo d'un lecteur tenant en main le fameux "merci pour ce bon moment".
JK

-Monsieur Kergrist,
Je rentre de notre Salon du livre où l’affluence a été record.
Tous les participants étaient enchantés et se sont confondus en remerciements envers notre Présidente.
Personnellement je tiens à vous dire que vous commencez à me les briser menues.
Vous savez bien qu’il ne s’agit pas là de censure mais des paroles maladroites que vous avez prononcées.
Alors je vous prie d’arrêter votre cinéma. Vous finissez par m’épuiser et cela m’est néfaste.
Au plaisir de ne plus recevoir vos mails, même notre Pape, le bon François, commence aussi à en avoir ras la casquette. A pardon vous n’étiez pas aller jusqu’à Sa Sainteté !
CL

NB :
-Contrairement à ce que pourrait laisser penser certains termes de ce commentaire très inspiré ("briser menues", ce qui suppose quelques couilles), son auteur est une femme, membre de l'association organisatrice.
-Quand, naguère, je faisais le clown sur des sujets controversés (nucléaire, agriculture productiviste, santé à la chaîne, recherche minière, chômage...) j'avais souvent des perturbateurs dans la salle qui tentaient de saborder mon spectacle. La bonne technique n'était pas de les faire taire ou de les virer de la salle. Il suffisait de les inviter à monter sur scène ou de leur tendre le micro. Quand la connerie est vraiment trop grosse, elle s'enfonce d'elle-même. Merci CL
JK

-De quoi ?
Un manant vaguement scribouillard et qui se targue de militanter contre le productivisme agricole se lamente d'être ainsi mis à l'index ?
Mais ce n'est que justice !
"Point ne mordras la main qui te nourrit" disent les écritures.
Il ne s'agit pas là de lutte de classe, mais de respect d'une éthique : celle de la FNSEA.
Voilà !  Faut pas sombrer systématiquement dans la victimisation quand on fournit soi-même le bâton pour se faire battre.
Amis châtelains, je vous exprime ici tout ma solidarité, d'autant plus que l'année prochaine sortira mon bouquin "Longue Vie au Cochon Breton "(*) et que je compte bien en faire la promo en vos murs.
Merci d'avance...
(*) Le titre indique en fait que, en tant que végétarien, je milite pour que les cochons coulent des jours paisibles en liberté et que s'ils doivent mourir un jour, ce soit de vieillesse.
Mais faudrait tout de même pas trop ébruiter cet éclaircissement, que ça reste entre nous, quoi...
Gilles Knopp

-... la seule chose qui peut te rassurer un peu est que tu influences ton coin, sinon pourquoi te barrer la route?
Je n'ai jamais partagé la politique du Rotary, club privé, fait de cooptation...très peu pour moi; il suffit effectivement de lire leur site pour le confirmer...une place où les enfants de l'un ou l'autre relate ses vacances avec l'aide du rotary... un peu féodal comme système.
Le concours oral de 2010 je crois était "l'avenir de l'humanité est étroitement lié au devenir de son environnement" présidé par ton Loïc Danion, tout un programme; son propre environnement a du le pourrir...
Véro

JK

 

 



COMMENTAIRE 11/07/14 

-On apprend (O-F d'hier) que ces statues sont aussi parlantes : toutes les heures les sœurs Goadec vont chanter pendant un quart d'heure. Les cloches de l'église et les trompettes tibétaines c'est 3 fois par jour. L'appel à la prière du muezzin, 5 fois par jour.  Les sœurs Goadec battent le record en réveillant les voisins toutes les heures. Merci Christian ! T'as vraiment les bonnes idées. Celles qui plaisent au peuple !
JK