125 - Dîner au château

   Après la censure au château (cf. article 121), maintenant l'heure du dîner. À 300 km plus à l’Est cette fois. Blois, samedi 11 octobre. Dîner des historiens.  Le menu est plus prestigieux que le frico cochon de Trégarantec, dont j’ai été, dimanche dernier, interdit, par ordre du seigneur-roturier des lieux. Marbré de joue de bœuf aux poireaux, salade Penne Rigate aux artichauts et pesto, tourte poulet aux pommes, dos de cabillaud et crumble d’herbes, tarte aux fruits de saison sur pâte sablée, Pithiviers avec duo de mousse chocolat…
    Que du beau monde aux fourchettes. À la table d’honneur, Jean-Noêl Jeanneney, ancien ministre, avec, à sa droite, Jean-François Khan, à sa gauche, l’évêque et le préfet. Des historiens, journalistes et écrivains de renom à la pelle, autour de tables rondes de 8 couverts. Je me retrouve entre mon ami Jean Lebrun et Sylvie Brunel, géographe et économiste, professeur à la Sorbonne. J’essaye de faire bonne figure. Ma mère, paysanne aristo sans le sou, m'a appris à me tenir à table -par exemple, je ne mets jamais la serviette autour du cou- Cela m'arrive aussi d'avoir un peu de conversation. Avec l'évêque, j'échange quelques nouvelles concernant mes copains dominicains, avec le préfet, je cause règlementation environnementale. Kergrist collabo ?blois
    À propos de collabos, je viens, avant le repas, de regarder un film, projeté juste après mon "Qui a tué Poulain-Corbion ?", dans le cycle cinéma de ces rendez-vous de l’histoire 2014 (thème de cette année « Les rebelles ») :  « La découverte ou l’ignorance – Histoire de mes fantômes bretons » de Vincent Jaglin. Le jeune auteur de ce documentaire de 90 minutes, fouine dans les archives familiales pour retrouver les traces de son grand-père et de son grand oncle, engagés en  1941 dans ce qui deviendra, en 1943, la Bezen Perrot, milice bretonne au service des nazis. Le film vient d’obtenir le prix du documentaire historique. Un prix amplement mérité. On a pas fini d’en parler. L'EMSAV "culturelle" bretonne a de quoi se sentir un peu morveuse.            
    Comme pour mon film, ce docu, dont le tournage a duré 12 ans, n’a obtenu aucune aide de la Région Bretagne, ni des Conseils Généraux, ni de FR3. Les documentaristes bretons, qui font leur beurre sans trop se casser la tête avec de sempiternels « portraits » ne mangeant pas de pain, ni ne suscitant non plus grandes controverses, accèdent, eux, sans problème à toutes les aides officielles. La prime à l’anodin, tant prisé des permanents culturels et des élus. À part nos 2 films, aucun autre n’a été sélectionné à Blois. Petite revanche des « rebelles ». Nul n’est prophète en son pays. Hier matin le Télégramme, plutôt que de s'écorcher à prononcer mon nom, titrait en locale de Glomel : « un film glomellois sélectionné à Blois. » Dites-moi donc, cher correspondant local, ce que ce film pourrait bien avoir de "glomellois"?

    Mais revenons à notre dîner de con. À un moment de la conversation, je ne tiens plus sur ma chaise. Sylvie Brunel, experte affriolante en économie, vante le modèle breton en sortant tous les poncifs FNSEA, à croire qu’elle est payée pour faire leur com,  genre « les bretons nourrissent la planète » (alors qu’ils l’affament avec leurs importations de farines qui a pour contrepartie la monoculture dans les pays émergeants), il faut « libérer les énergies » (c’est à dire, avec Le Fur, Troadec, Glon et Merret, faire sauter toutes les règles environnementales). L’ouvrir ou sortir ? Dilemme du petit provincial invité au château et qui s'évertue à bien se tenir.

   Foin de la politesse, je décide de lui rentrer dans le lard. Ses cheveux défrisent à vue d’œil. Jean Lebrun essaie de me calmer. Les voisins de table commencent à se retourner. Kergrist incapable de se tenir à table. L’an prochain, comme à Trégarantec, pas certain qu’on me réinvite.
    Rien à foutre des châteaux, ni des sorbonnards
traitres
!

NB
À Blois nous n'étions pas que deux. Des centaines d'œuvres et de débats passionnants. Avec une polémique centrale, liée à la présence du philosophe réactionnaire Marcel Gauchet, qui a osé écrire "... ce qui fait horreur à l'individu contemporain, c'est le conformisme" (Le monde 10/10/14). Il ne doit pas habiter Glomel, mais plutôt le 16ième.
Plus réconfortant, dimanche matin, le grand entretien avec Daniel Cordier, ex-secrétaire de Jean Moulin, venu de la droite maurassienne, qui nous sort : "De Gaulle aurait dû fusiller Pétain". Tonnerre d'applaudissments des 500 auditeurs. Il est vrai que nous étions dans la salle des États Généraux du château.

JK


COMMENTAIRES 17/10/14 et jours suivants

-Hi-hi-hi !
Très bien mon Tonton !
Tu as eu raison de l'ouvrir, même et surtout si personne ne te demandait ton avis.
Gruïk
Gilles Knopp

-Merci Jean pour cet article qui montre hélas que les Le Fur, bonnets rouges et compagnie font aussi des dégâts loin de la Bretagne
j'approuve ta réaction, bien vu
mais quelle a été la réponse de Sylvie Brunel ?
Jean  Richard

-Elle est montée sur ses grands cheveux, puis m'a fait la gueule.
J'ai essayé de changer de conversation (tu vois que j'ai du savoir vivre !), en lui parlant de son ex, Éric Besson, qui avait quitté le PS pour devenir ministre de l'identité nationale de Sarkozy, en quittant aussi sa jeune quinquagénaire pour une plus jeunette -elle a raconté ça dans son "Manuel de la guérilla à l'usage des femmes" (Grasset 2009)-. Cela ne l'a pas calmée. Elle s'est alors lancée dans un éloge dithyrambe d'Éric Besson.
JK

-Elle est montée sur ses grands cheveux, puis m'a fait la gueule.
J'ai essayé alors de changer de conversation en lui parlant de son ex, Éric Besson, qui avait quitté le PS pour devenir ministre de l'identité nationale de Sarkozy en quittant aussi sa jeune quinquagénaire pour une plus jeunette -elle  racontait ça dans son "Manuel de la guérilla à l'usage des femmes" (Grasset 2009)- Cela ne l'a pas calmée. Elle s'est alors lançée dans un éloge dithyrambe d'Éric Besson.
JK

-Ahurissant que les sorbonnards, comme la Sylvie de service, aillent à la soupe FNSEA !
Yves-Marie le Lay

-Je te connais depuis des années et partage très souvent ce que tu dis, même lorsque c'est avec férocité : cela a le mérite d'agiter les neurones dans un Monde de platitude.  
 Au nom de l’amitié que je te porte, je me dois de dire que ne te suis pas, pour autant, complètement dans ce que tu dis cette fois-ci.
 En effet tu es un peu en contradiction avec toi-même. Tu m’as dit un jour « je ne vais dans les salons du livre que lorsque je ne paie rien... et surtout mes frais de route
»  et cela a un prix : celui d’accepter ce que tu viens de vivre.
 Or comment imaginer que dans un Salon tel que celui auquel tu as participé tu ne puisses pas être « confronté » avec ce que tu fustiges.
 J’ai quitté, me concernant, le deuxième jour de la manifestation le Salon du livre de Vannes, organisé par un « tourneur de peu de moralité » (*) et financé totalement par de l’argent public et j’ai dit pourquoi.
 Je ne peux, quant à moi, en même temps lutter contre « l’instrumentalisation de la vie culturelle et associative » et accepter d’être un participant à ce qui va lui donner du crédit.
 Par ailleurs je trouve que tu « globalises » en parlant de la Bretagne et de ceux attachés à la défense de ses cultures au nombre desquels je suis, comme le font...les tenants du grand capitaliste et de l’économie financiarisée, que je combats. Comme tu globalises pour tout ce qui touche à l’économie et à ceux qui ont et œuvrent pour Elle en Bretagne. Dommage on en a quand même un peu besoin. Lorsque tout le monde sera fonctionnaire nous serons dans quel Pays ? Sous quel régime ?
Chaque jour je pense, me concernant, à ce que m’a dit un jour Paul Le Doré : « Aujourd’hui, as-tu planté un arbre ? »     
 Gérad Gautier

-Inutile, Gérard, de chercher midi à 14 heures. On m'invite à présenter un film en me payant transport, bouffe et hébergement. Je n'ai pas honte de ce que je fais. Donc j'y vais. Ma présence là où on m'invite ne vaut jamais allégeance. Je ne vais quand même pas demander à vérifier d'abord les budgets de tous ceux qui m'invitent. Quand la foire expo de Saint-Brieuc t'offre un stand pour vendre tes bouquins, je ne vais pas te suspecter d'être à la solde de la chambre de commerce, de la ville ou de l'agglo.
JK

-Bon heureusement que tu es là pour sortir dans le monde.
Madame Brunel, je l'entends régulièrement sur les ondes et bien sûr d'une oreille un peu critique .
Son charme opérant sans doute, je me suis laissé convaincre de ses compétences.
Merci d'avoir été là pour témoigner de sa "conviction" de la grandeur de notre agriculture et de nos "leader maximo" chargés aux hormones de chez Guével.
Il faut reconnaître que nous avons des lobies agricolo-bretons argentés et très efficaces pour porter la bonne parole dans les sphères des "décideurs".
Merci encore et salutations amicales
J-J L

Je lis tes commentaires sur tes expériences châtelaines dans le Val de Loire, je note ceux qui concernent l'Emsav culturel auquel je m'honore d'appartenir depuis plus de 60 ans.
Tu fais référence à un film qui traite de la poignée de jeunes Bretons égarés qui, par haine des communistes en sont venus à collaborer avec l'occupant allemand. J'ai eu l'occasion de rencontrer certains d'entre eux au cours des années et je n'ai pas manqué de leur donner mon sentiment sur cette collaboration.
Maintenant, si je n'ai que du mépris pour les collaborateurs, je n'oublie pas non plus les crimes abominables de certains soi-disant "résistants", bien souvent issus du parti communiste.
Je n'ai jamais pensé que les crimes des uns effaçaient ceux des autres.
Je suis fier d'avoir (un peu) contribué à défendre et à préserver la culture de mes ancêtres tout en contribuant aussi au développement économique de la Bretagne et à l'aménagement de son territoire.
Et puis franchement, fils d'un ouvrier nazairien, comme tous ceux de ma classe, les critiques ne me touchent pas, surtout quand elles sont injustifiées.
J C

-Jean, pour le coup je dis bravo !
Laisser passer de tels propos reviendrait à s'abaisser devant le néo-patronat des lobbys agricoles et des grandes enseignes bretonnes...les sbires du capitalisme productiviste grouillent un peu partout dans le monde, mais particulièrement dans les châteaux on dirait !
Je pense que tu es sur la bonne voie pour te faire interdire de séjour au salon du livre de Carhaix !
Après Trégarantec et Blois, le "Castel-Troadec" ferait une nouvelle cocarde du plus bel effet sur le vieux zingue de ton oeuvre littéraire.
Vive l'as des as!
Étienne S

-Une interdiction au salon du livre de Carhaix ? Cela m'étonnerait. J'y vais tous les ans. Pendant les deux jours en plus. C'est le salon où je vends le plus de bouquins. Même si je ne suis plus invité, depuis quelques années, à la table des auteurs, je le suis à celle des éditeurs. Comme j'en ai deux présents au salon, j'ai le choix. Et je salue toujours le maître des lieux, Christian Troadec, qui n'est pas un monstre.
Jk

-Tu évoques, cher Jean, un documentaire “Histoire de mes fantômes”qui aurait demandé 12 ans de travail. 12 ans!
Si c’est le cas, j’ai certainement eu connaissance du projet (en 2002, donc) lorsque j’étais encore en fonction à Rennes .
Tu admettras que s’il a fallu tout ce temps pour mener à bien un tel boulot,  ses prémisses, à l’époque, pouvaient paraître plutôt  fragiles, et même un peu branlantes, aux yeux d’un diffuseur, surtout pour un sujet aussi sensible .
J’ai tellement vu (et si j’en crois les commentaires de Françoise Morvan sur de récentes coproductions de FR3  je ne suis pas le seul)  n’importe qui s’emparer de n’importe quel sujet “sensible”, que, quelquefois, oui, une certaine prudence commandait d’attendre que tel ou tel projet, comme on dit, mûrisse.
Je suis impatient de voir ce film.
Louis Marie Davy

-Oui, Louis-Marie, l'interview qu'il a fait en Irlande de Yann Fouéré date de 2002.
Je ne sais s'il avait, à l'époque, déjà pris contact avec FR3.
Son film est lumineux, clair et gai. Un régal d'intelligence.
Il passera, en première projection, à Rennes le dimanche 14 décembre à 18h au TNB
JK

-Cher Jean Kergrist,
j'apprécie la verdeur de vos propos (en Lyonnaise que je suis :), vous y avais-je vu dans un temps quelque peu lointain, certainement) ,
mais je vous me voyez bien embêtée par ce que je viens de lire sur votre site,
compte tenu de votre grand intérêt pour ce film et de votre enthousiasme dont je vous remercie vivement.
J'apprécierai beaucoup que vous apportiez les corrections suivantes dans votre texte
(mais vous n'étiez pas au débat je crois, donc je comprends sans mal les erreurs, importantes pour certaines, qui se sont glissées ici) :
- il ne s'agit pas du grand père mais des 2 grands oncles de Vincent Jaglin
- ils ne se sont pas engagés dans le Bezen Perrot en 41 mais en 44
- Vincent n'a pas tourné 12 ans mais 2 ans (c'est son travail épisodique d'écriture et de recherche historique qui aura duré de nombreuses années)
- nous n'avons pas obtenu de soutien de la région tout simplement car nous ne l'avons jamais demandé, volontairement, encore moins aux conseils généraux.
Anne Grange (Chaz Productions), productrice du film de Vincent Jaglin

-Ton blog est toujours aussi jouissif !
pour le menu je n'en reviens pas qu'on fasse encore de tels repas !
ne manquait  que le trou normand.
André

-Ta remarque, André, est loin d'être anodine : interdit de bouffe à Trégarantec, gavé à Blois.
C'est par le ventre que les puissants tentent de dompter leurs chiens.
JK

-Mon cher Jean, merci pour ton épisode de Rock métal au château !
Décidément il s'en passe dans les grandes salles des dessous chics où le conformisme soyeux se fritte avec le côté rèche de l'attitude rebelle qui n'a que faire en ces lieux. Heureusement que vous n'avez pas abordé l'analyse de la crise ou du grand réchauffement. Dans les fauteuils moelleux de satin recouverts, après trois plats et deux desserts la digestion aidant, le monde tourne rond comme une horloge tant que les placements à la banque rapportent encore du pognon.
Pendant que l'état comme un enfant de l'école primaire, attend tout gentil tout mignon de recevoir de l'Europe sa bonne note, en liquidant par secteur toute la population, dans les châteaux rien ne transpire des réalités des métalleux, rockeurs ou pas.
 Mais qu'allait-il faire dans cette galère ?
 Iso