129 - Requiem

Après Sivens, leur silence et notre écœurement

remy


    L’écœurement. Le goût de fer dans la bouche. Un homme est mort, un garçon de vingt ans venu là pour l'amour des arbres et des oiseaux nichés, pour qu'il reste des mares et des bosquets. Pour que les printemps ne soient pas silencieux, les champs vidés de la vie singulière. L’écœurement, puisque le silence est impossible.
    Les gens raisonnables, eux, savent rester silencieux. L'ont été deux jours entiers, accaparés ailleurs. Ils ont tant à faire, des plans à dessiner, des projets à porter, des aménagements et des infrastructures. Ils regrettent sincèrement, bien sûr, la mort d'un homme. Mais ils savent, habitués, que ça aussi ça passera. Qu'on oubliera. C'est un drame, mais il faudra bien poursuivre. Le développement, le progrès. On ne va pas construire des cabanes dans les arbres pendant que la Chine conquiert le monde, quand même. Attention, on parlera de biodiversité et de compensations écologiques, tout ce que vous voulez, nous ne sommes pas insensibles. C'est important, le développement durable. Mais il faut quand même penser au développement. Vos huttes, vos regrets et vos soucis des oiseaux, c'est sympathique mais c'est un petit peu exagéré tout de même.

    Non. Ce n'est pas exagéré. Si on vous laissait faire, il n'y aurait déjà plus rien. Plus les oiseaux, plus les chemins creux, plus les arbres. Il n'y aurait que les lignes claires des grands axes, les sols frappés d'alignement, les zones industrielles, les parkings et le béton. Il n'y aurait plus que la mobilisation comptable de toute chose. Faut que ça crache, quoi que ça coûte. Faut de la croissance. Faut être moderne et prag-ma-tique. Usines à vaches, poulets, cochons. Barrages pour le maïs. Campagnes dégradées en supports de productions standardisées.
    On restructure, on modernise, c'est bon pour l'emploi on vous dit. Les paysans iront aux usines à poulets. La découpe, l'abattage, le transport. Et si les usines tombent, on verra bien. On trouvera quelque chose. Et tant pis pour la mélancolie. La mélancolie, ça ne produit pas de la richesse nationale.
    La mélancolie, c'est pour les livres. Et on ne les lit plus, on n'a pas le temps. Le métier des décideurs, c'est de décider, pas de se perdre en lectures. Et pourtant. Bien des livres leur seraient plus utiles à « comprendre le réel » et « la vraie vie », que le désastreux secours d'une quelconque émission de télé-réalité. Des voyages en France, récits ou reportages, qui disent beaucoup de ce que devient notre pays. De l'épuisement d'un modèle, mais aussi de la recherche de solutions neuves. D'une France au bord de la crise de nerfs, mais aussi de ce qu'il y demeure de capacités de résistance et d'invention. Dans ces livres, ils liraient le cœur vivant du pays, ce qui l'abat, mais l'indigne et l'anime aussi. Peut-être, en lisant ces livres ou d'autres, pourraient-ils commencer d'entrevoir les raisons qui ont poussé un jeune homme, avec tant et tant d'autres, à protéger ce qui est fragile et qui constitue nos vies, nos vies qui ne peuvent pas s'expliquer seulement par des chiffres, des rapports et des notes ministérielles, nos vies tissées d'émerveillements face au monde qui mérite nos égards. Peut-être. Il restera notre écœurement et notre tristesse, mais peut-être diront-ils alors moins de bêtises indécentes.

Mikaêl Marie
Non Rémi. Tu n'es pas mort pour rien. Ta mort met en relief criant à la fois un énorme clivage ancré et une convergence naissante.
Tu n'es pas mort seul. Survenue 6 jours avant la tienne, la mort de Christophe de Margerie, PDG de Total, a suscité des panégyriques obscènes de la part d'une classe Totalement déconnectée de la majorité du peuple et des valeurs supposées de la nation française. Fraudeur fiscal à grande échelle, taché du sang et de la sueur d'une main d'oeuvre esclavagiste en Birmanie, mettant tout en oeuvre pour éviter ses responsabilités écologiques, de Margerie a été érigé en héros national par un gouvernement de droite sous une bannière de gauche. Liberté de polluer. Fraternité avec des dictateurs sans scrupules. Égalité des plus riches avec les plus pauvres devant l'impôt.

Alors que la plus haute société et nos "représentants" se préparaient à pavaner dans des obsèques "m'as-tu vu" nationales pour la télé et les pages, entre autre, de Paris Match, l'État t'a tué avec une arme "non-léthale" sur un terrain déboisé. Botaniste passionné, militant pacifiste contre un crime écologique au profit d'une infime minorité, mettant, avec d'autres, tout en oeuvre pour rappeler l'État à ses responsabilités, on t'a d'abord ignoré puis dénigré voire criminalisé, pour enfin timidement évoquer de la sympathie pour tes proches dans leurs perte.

Oui Rémi. Ta mort est criminelle. Mais elle n'est pas stupide, ni inutile comme le grand barrage de Sivens contre lequel tu luttais.

RASSEMBLEMENT régional : samedi 1er  novembre 14 h devant la préfecture de St Brieuc.
cazeneuve

Vous allez encore énerver le Beulin !
Beulin ? Mais si ! Le PDG de la FNSEA, le maître à penser, le modèle des jeunes agriculteurs.
S'il a parlé de "djihadistes verts" qui sèment la terreur dans nos villes et nos campagnes, s'il s'est indigné contre cette jeunesse déliquescente, c'est uniquement parce qu'il est soucieux du bien être des agriculteurs, une profession si injustement décriée, détentrice du record de taux de suicide par catégorie socio-professionnelle.
Mais pourquoi s'obstiner à faire du maïs dans le Tarn alors que le climat ne s'y prête pas ? A cause de la Valeur Ajoutée, bande d'ignares rétrogrades et élitistes !
Faut-il absolument sauver un groupuscule de batraciens pustuleux, trois piafs vicieux et deux lapins probablement atteints de myxomatose si le prix à payer plonge d'honorables familles dans la détresse financière et la misère ? Les enfants d'agriculteurs n'ont-ils pas le droit au respect et à la dignité, même ceux qui vrombissent sur des quads hors de prix sur les sentiers de randonnée ?
De toutes façons, avant ce projet de barrage, personne n'allait jamais se balader dans cette zone humide insalubre où pullulent les moustiques porteurs de la Malaria et du Chikoungounia... Alors quoi ?
Et cette décision a été prise démocratiquement, en toute transparence. Tous les opposants se dévoilent donc sous leur véritable jour : d'opaques anti-démocrates !
Et puis tout a déjà été rasé, les arbres arrachés, le sol partiellement gratté, et on vous dit et on vous répète qu'une autre zone humide plus saine sera intégralement recréé un peu plus loin, avec des aires de pique-nique et un marchand de frites. Bon !
En plus, l'impact de la grenade dans les dos du gars prouve bien la légitime défense du gendarme qui a tiré.
Mettez-vous un peu à leur place, merde ! Eux aussi, ce sont de bons pères de famille qui ne font que leur métier...
Et eux aussi ont le droit d'avoir peur !
Comme nos ministres, comme nos députés, comme nos banquiers, comme nos grands patrons, comme les actionnaires des grands groupes de BTP, de la pétro-chimie et de l'agro-biz...
Ce gouvernement se fout de l'Humain et se tamponne de l'écologie, ce gouvernement ordonne et organise la violence.
Les garants de la Loi et de la Justice, les gardiens de la paix et les forces de l'ordre sont au service de ces institutions mensongères...
Je vois pas bien comment s'en sortir...
Caisse qu'y 'a ce soir à la téloche ?
Gilles Knopp