132 - Ouest-Surveillance



CameraEn ce moment même (17h30) et depuis deux heures, un hélicoptère vrombit au dessus de ma tête dans le centre du bourg de Rennes, capitale “administrative” de la Bretagne.
Que se passe-t-il donc?
Ce matin Ouest France  m’avait informé et même alerté avec ce titre en une ( repris sur tous les flyers jaunes affichés devant tous les bureaux de tabac de la ville) : RENNES EN ETAT DE SIEGE!
J’étais prévenu.
On annonçait pêle mêle la fermeture anticipée du fameux marché des Lices, le bouclage des entrées de métro par les forces de l’ordre, donnait des conseils de prudence aux commerçants…bref le bulletin paroissial local ne rendait pas tout à fait son “son” habituel du samedi avec homélie de François Régis Hutin et programmes de sorties de week-end.
Ca sentait la poudre.
Je me suis dit  que  des bonnets rouges…ou des tracteurs de 150 cv avec tonnes à lisiers au cul… ou encore des supporters arméniens (l’équipe de France les joue bientôt) s’apprêtaient à barbariser notre bonne ville si quiète sous la pluie d’automne, et à salir nos pavés mouillés de choux fleurs, de merde de porc ou de canettes de bières.
Un samedi qui plus est, jour de la messe !
Non, non, non, tout ce vacarme n’était destiné qu’à surveiller, allez… 200 manifestants (tout au plus)  “interdits” de manifestation par le préfet et donc de protestation contre les événements de Sivens et les brutalités policières qui ont suivi.
Sur le site de Ouest France - Rennes : des photos, de petites vidéos suivent et narrent les événements minute après minute.
Ils font ça maintenant. Ce n’est plus du journalisme, ça tient plutôt de la vidéo-surveillance. C’est en ligne tout de suite après. On reconnaît des visages sous les capuches.
Je me souviens d’une ligne de la charte des journalistes qui dit que celui-ci ne confond pas son rôle avec celui du policier.
Mais c’est comme la messe… du dimanche.
Tout fout le camp, je te dis!
LMD

Autre témoignage sur ce retour à l'État policier, de l'intérieur de la manif :

Un peu avant 15h on se cherche encore Place Saint-Michel. Mais nous savons que nous ne serons pas seuls à vouloir nous réunir aujourd’hui. Inconsolables. Indignés. Décidés. Inconsolables de la disparition d’un homme qui manifestait pacifiquement ses idées. Indignés par la violence exercée contre ceux qui défendent l’avenir de tous. Décidés à mener notre lutte contre l’oppression de l’homme et de la nature.
Rémi Fraisse. Nous lui rendions hommage aujourd’hui.
Accompagnés de pas moins de 300 agents déployés de manière inédite dans le centre-ville de Rennes pour décourager ce rassemblement interdit la veille par la préfecture d’Ille-et-Vilaine, faute de déclaration préalable. Une présence plutôt mobilisatrice puisque ce sont justement les violences policières qui sont à l’origine de la manifestation.
15h05. Pas de banderoles, pas même de renoncule sur le pli de la veste, mais nous nous reconnaissons. Nous sommes plus d’une centaine, suffisamment pour ignorer l’interdiction et bientôt former un cortège remontant la rue Saint-Michel sous la vigilance des caméras, micros et autres calepins. Un cri est lancé : On reste pacifiques, pas de violences aujourd’hui. Un appel globalement respecté. C’est finalement celui qui avait appelé au calme qui finira prématurément la manifestation sous les coups de matraque (Le Télégramme - 17h30).
La plupart des manifestants profite de chaque passage devant les cordons de CRS pour huer, insulter, lancer quelques slogans bien connus à l’adresse des condés. C’est qu’ils encadrent bien les contestataires, tentent de les ralentir, de les encercler, passant régulièrement en courant pour bloquer de nouvelles rues. Mais le cortège gonfle en avançant, nous sommes bientôt 200. 300. Et finalement plus de 400 à venir crier notre colère, toujours sans violence (seuls quelques jets de cannettes ou d’un petit pot de fleur en plastique vers ces hommes mieux équipés que des tortues) même si, bien sûr, deux violences symboliques s’affrontent. La haine envers tous les représentants des forces de l’ordre est palpable. Mais seule d’eux viendra la bavure aujourd’hui.
Nous défilons donc ainsi pendant plusieurs heures entre les places et les ruelles rennaises. Entre deux chants entonnés spontanément, une voie féminine perce le silence de la foule : « On t’oublie pas Rémi ». Seules deux ou trois pancartes bricolées sur des morceaux de carton ponctuent la manifestation ou un drapeau Europe-Ecologie porté par un bonnet rouge et on remarque quelques autres restés enroulés. Pas de leader non plus. Les hésitations du défilé à chaque carrefour ne manquent pas de perturber les avancées méthodiques des forces de l’ordre. La pluie qui tombe parfois à grosses gouttes ne décourage pas les participants. Les commerçants nous observent derrière les vitrines dont certaines sont protégées par des grilles. Le rideau du centre commercial de la Visitation évacué se baisse devant le cortège. Encore un symbole de la société de consommation qui recule. Mais les seuls dégâts à constater seront peut-être les quelques couvercles de conteneurs cabossés pour avoir servi de tambours.
Après de nouvelles provocations Places des Lices - des fesses ont été présentées aux CRS -, la manifestation n’a plus d’issue. Une ruelle est toutefois moins bien gardée : le cordon cède à la foule. Les premières échauffourées s’annoncent, à grands secours de gaz lacrymogènes. Le nez et la gorge piquent, ce seront bientôt les yeux. Car sur le carrefour Place de Bretagne des manifestants encerclent un petit groupe isolé de la BAC. Il est vite secouru et l’attroupement s’éloigne.
Redescendant vers le Parlement, une tentative est lancée pour rejoindre la Préfecture mais les accès sont trop bien protégés et la manifestation un peu décousue. Vers 17h30, le cortège décide d’affronter un nouveau cordon de CRS pour passer de la Place de la Mairie à celle de la République. Nombreux sont ceux qui attendent et cherchent la bavure policière. Cela n’empêche pas tous d’être atterrés quand un homme pacifique est assené de coups de matraques sur le crane (et la foule aspergée de gaz), simplement quand un autre (ne semblant pas s’être joint au cortège) insiste pour passer le mur de boucliers en PVC dressés devant lui et qu’un homme casqué décide que c’était la limite à ne pas dépasser. Et à d’autres de penser que ce cercle vicieux qui nous fait descendre dans la rue a conduit à la mort.
On se remémore les blessures constatées suite à d’autres manifestations. Les mutilations parfois comme ces yeux arrachés par des tirs de flashball. Ou la mort en 1977 de Vital Michalon suite à un tir de grenade offensive, « qui jusque-là n'avaient pas tué » selon le président Hollande dans son allocution du 6 novembre.
Le cordon recule mais la manifestation déjà moins dense se dissout progressivement. Le face à face avec les CRS se poursuit, entrainant un cortège qui se métamorphose aux quatre coins de la Place de la République. La plupart des jeunes et des moins jeunes sont partis à la tombée de la nuit après plus de deux heures de défilé. Des plus jeunes renflouent le cortège, bloquant la circulation des bus sur cette place au cœur des transports en commun de Rennes. Après une heure de petites provocations dansantes ou chantantes et des démonstrations de forces (de l’ordre), la dispersion s’achève alors que l’hélicoptère qui nous a observés toute l’après-midi s’efface dans le ciel noir.
Une manifestation spontanée, sans organisation, échauffée par une présence policière massive et surtout provoquée par le meurtre d’un jeune homme, n’a pas dégénéré. Beau bilan pour le rassemblement pourtant interdit de Rennes ce 8 novembre 2014. Hommage à Rémi. Au Testet. Et à toutes les luttes pacifiques pour la défense de la Terre.

IdB