La cordillère des jambes

Paru en mars 2008 chez Coop Breizh

roman (poche, 10 euros)

Le mythe de Manon du Faouët revisité par une voleuse au grand cœur. Le roman de la Bretagne intérieure.

Pour assurer la pérennité de son trône sur la petite île de Béni Tanb, le cheik Al Fayed Kamal Koutchma, dit l'émir de Langoëlan, cherche une mère porteuse en Bretagne. Albert le Gall, manipulateur au CIA (Centre d'Insémination Animale) de Plounévézel, va lui donner un sérieux coup de main.
couvcordTableau de couverture : Jean René Ghéroldi
(La dame en rouge)

EXTRAIT

Nos deux héros sont arrêtés à un barrage d'agriculteurs protestant contre une rave.  

    Laissèrent la R5 en équilibre instable sur la glissière. Rampèrent, par-dessus le talus, jusqu'à un champ de maïs sous plastique. Dernière technique en vogue pour faire filer plus rapidement les pesticides vers la rivière. Coupèrent ensuite par une étendue de genêts. Enfin la protection hospitalière d'un chemin creux. La nuit tombait. La journée avait été rude. Décidèrent de souffler un peu. Se glissèrent à l'abri d'une vieille souche.
    -Si je comprends bien, vous avez, vous aussi, vos Talibans !
    -Au début on n'a pas vu le coup venir. Les gars du barrage, même les plus rupins, même le grand binoclard à la barre à mine, sont que des pauvres types. Manipulés jusqu'à la corde par tout un système qui quadrille les campagnes. Les coopératives, celles que nous avions mises en place avec notre idéal de Jeunesse Agricole Catholique, avec l'idée de partager les risques, nous ont peu à peu échappé. De coopérateurs, nous sommes progressivement devenus employés. Les directeurs de coopérative sont devenus les vrais patrons. La course au rendement nous a happés. Leurs techniciens, payés par les boîtes d’aliments et d’engrais, passaient deux fois par semaine. Fallait faire toujours mieux que le voisin. Acheter le tracteur le plus gros. Construire le poulailler le plus grand. Doper tes vaches au soja pour leur faire pisser le lait comme curé ses prières. C'était ça ou crever.
    Venaient nous seriner à l'oreille qu'un paysan sur deux allait disparaître. Que c'était une loi de la nature. Incontournable. Alors, au lieu de jouer la solidarité, on a joué la concurrence. Épié le voisin par-dessus le talus. Diviser pour régner.  À chaque fois que l'un de nous buvait la tasse, les autres serraient les fesses. Tout faire pour ne pas être de la prochaine fournée. La banque, elle, s'en sortait toujours. Plus il y avait d'éclopés, plus elle récupérait en hypothèques et ça repartait pour un tour du manège. Avec d'autres naïfs qu'ils dressaient à pédaler pour eux.
    Tu fermes ta gueule et ils te nomment administrateur de la banque, de la coopérative ou du syndicat. T'as le privilège de monter en cravate à la tribune lors de l'assemblée générale, avec kir cacahouètes et casse-croûte gratuit. C'est comme monter à la première marche du podium des jeux olympiques pour chercher ta médaille. Leurs élections se bricolent toujours à candidats choisis et liste bloquée. De toute façon personne n'est capable de foutre le nez dans leurs bilans. T'es assommé par des pages de chiffres auxquels tu comprends rien. Une fois administrateur, tu deviens une huile locale respectée. Un intouchable. Dans la foulée, t’es élu conseiller municipal. Tu vends tes vaches plus chères que la moyenne. Tu gagnes tous les concours de comice agricole. Pour annoncer ton enterrement, dans le journal c’est au moins vingt faire-part des conseils d’administration bidons auxquels t'appartiens.
    -Personne ne résiste ?
    -Sur le tard, les écolos nous ont un peu foutu la frousse. Notre merde devenait trop voyante. Le saccage trop généralisé. On se sentait presque un peu fautifs d’avoir rasé les talus. Bousillé toutes les zones humides à grands coups de drainage. Pour nous reprendre en main, nos patrons n'ont pas tardé à trouver la parade. Se sont regroupés avec les marchands de tracteurs et produits chimiques pour inventer un nouveau truc : l'agriculture "raisonnée". Un cache-sexe pour continuer comme avant. Surtout rien changer. Sous couvert de diminuer les doses de poison.cordil
    -T'as jamais essayé de réagir avant ?
    -Que veux-tu faire quand toute ton énergie est utilisée à pas crever ? Tu dors mal. Tu sors presque plus. Tu vois que des collègues, et encore ! Des années sans mettre le nez dans un bouquin, à part l’annuaire téléphonique. Tu deviens plus taciturne que tes bêtes. Plus con que tes pieds. Tu parles plus qu'à ta fourche. Et gare à celui qui se met en travers ! Devient la cause de tous tes malheurs. Arrivés à ce stade, on est tous prêts à cogner. D’ailleurs certains s’en privent pas. Ça commence sur les animaux. À coup de fourche. Si les vétérinaires dénonçaient les sévices dont ils sont témoins, la ligue de protection des animaux ne saurait plus où donner du procès.
    -Et ta femme ?
    -Encore plus conditionnée que moi. C'est elle qui tient la bourse. Me pousse au cul quand le compte vire au rouge. Parle toujours de se jeter sous un train. Heureusement y a plus de trains. Ont tout misé sur le TGV. Désormais faut aller à perpette pour trouver une micheline. Et comme ma femme n’a pas son permis…
    -Vous avez quand même réussi à élever sept gamins.
    -J'appelle pas ça élever. Ou alors comme on élève des poulets. En batterie. En gavant les canards pour qu'ils ferment leur gueule. Au lycée agricole, on t’apprend à connaître par cœur toutes les marques de tracteurs, mais, sorti de là, t’es incapable de leur aligner deux idées qui tiennent debout. Deviennent tous aussi cons que leurs pères.

QUATRIÈME DE COUVERTURE :

Le mythe de Marion du Faouët est ici revisité avec humour. Ça débute comme un polar, ça flaire le roman régionaliste, puis ça vous propulse aux quatre coins cardinaux. C'est avant tout un Kergrist, drôle, impertinent, émouvant, jubilateur, ravageur. Culs et chemises flirtent avec larrons en foire dans une quête du Graal où la belle Manon, voleuse au grand cœur, se dérobe à la vitesse du big bang. 

 CRITIQUES :

-SITE EIREANN http://eireann561.canalblog.com/archives/2008/04/14/8813942.html

-OUEST-FRANCE, Lorient (26 avril 2008) : 
"Jean Kergrist interroge l'origine du monde. Le comédien-écrivain publie "La Cordillère des jambes". Il nous conte la quête rocambolesque d'un émir en Bretagne intérieure.
Jean Kergrist tire sur tout ce qui bouge. Le créateur du Théâtre National Portatif ne baisse pas la garde, n'édulcore pas son verbe. Qu'il aurait plutôt tendance à corser. Dans "La Cordillère des jambes", l'auteur saute en sabots dans la mare aux bien-pensants. Tout le monde en prend dans le buffet : État, préfet et gendarmes, syndicats agricoles et coopératives, cultureux et cul-terreux, technocrates et banquiers, poseurs de bombes et leurs juges, Allah, Dieu et presque tous les saints... 
Où donc va se nicher un sujet de bouquin ? Dans l'Origine du monde du peintre Gustave Courbet ? Sous les jupes des filles, répondent Souchon et Jean Kergrist. Car ici l'intrigue prend chair devant une photo sur laquelle Marion, jolie femme du Faouët, soulève son cotillon devant l'objectif d'un photographe black et banlieusard...
Jean Kergrist a dû passer ses vies antérieures dans une roulotte à courir le monde avec une troupe de comédiens. Quand il puise à la source, ses héros battent le pavé en quête de sublime. Désespérés ou cyniques, "avec un ciel si gris qu'un canal s'est pendu" aurait chanté Brel, à jeun ou au coin du bistrot, ils crachent à la face du soleil leurs grandes et petites misères. Donquichotesques !"
Christian Gouérou

-LE TELEGRAMME, St Brieuc (29 avril 2008)
"Kergrist tricote l'histoire récente du Centre-Bretagne avec une fiction si bien plantée dans le décor qu'elle parait authentique. Bien sûr, tout n'est pas totalement inventé, et bien des figures locales se reconnaîtront, à peine déguisées, dans ce roman qui ressuscite l'Émir de Langoëlan. La seule évocation de ce noble personnage fait naître des larmes de rire et de nostalgie chez tous les quinquas de la région de Carhaix, penchés sur leurs déjà lointaines années quatre-vingt... Mais les Briochins ne seront pas dépaysés : ils retrouveront l'humour incomparable de Jean Kergrist."   
Roselyne Veissid

-LE CRI DE L'ORMEAU (Mai 2008)
"Dans ce pays, siège des rencontres de Clarinettes de Glomel, on est habitué à des rencontres exotiques et on aime bien observer la confrontation d'un lama tibétain avec un éleveur de porcs.... signalons aussi une certaine dose d'érotisme (pas désagréable) à laquelle on n'était pas habitué chez cet auteur très en verve."
Patrice Verdure

-LE POHER (14 mai 2008)
" Drôle et jubilatoire, "La Cordillère des jambes" entraîne les lecteurs dans un road-movie rocambolesque en Kreiz Breizh... Ici tout est affaire de style. À l'instar de David Lodge, dont il revendique le haut patronage littéraire, Jean Kergrist balance, page après page, des vérités avec l'air de ne jamais y toucher... Derrière ce roman, aux allures de western rural et rigolard, ce texte révèle bien autre chose : une peinture de la Bretagne intérieure pas piquée des hannetons et de ses habitants... Du grand Kergrist !"
Régis Plescop